Quand les neurosciences rencontrent la pédagogie...

Mardi 3 septembre, toute l’équipe du Conservatoire de Bordeaux s'est réunie à l’Atelier du conservatoire pour un séminaire de rentrée consacrée aux neurosciences, conduit par Stéphanie Morand.
Une journée riche de découvertes et de réflexions sur la façon dont les neurosciences peuvent éclairer l’approche pédagogique et les modes d’enseignements, qu’ils s’adressent à de jeunes enfants, des adolescents ou des adultes.

Titulaire d'une certification de neuro-praticienne obtenue au Québec, Stéphanie Morand a notamment bénéficié des enseignements de Boris Cyrulnik. Elle est également médiateure diplômée d’état depuis 14 ans et auteure de l'ouvrage Quand les enfants apprennent à gérer leurs conflits, paru aux éditions Dangles. Elle s'est prêtée au jeu de l’interview.


Est-ce la première fois que vous intervenez auprès d’un public d’enseignants artistiques ?

Oui, c'est la première fois sous forme de conférence, mais j'ai déjà côtoyé des enseignants artistiques en formation. Je suis enthousiasmée aujourd'hui par le côté chaleureux et bienveillant du public, les professeurs sont passionnés et pointus dans leurs retours, on sent un immense intérêt pour cette thématique.

En quoi les activités et apprentissages artistiques vont apporter des bénéfices au niveau du développement cognitif ?

Des données scientifiques montrent par exemple que la pratique musicale peut améliorer les compétences scolaires (notamment l’apprentissage de la lecture, des langues étrangères, les capacités de la mémoire de travail et d’attention…) mais aussi la socialisation. En effet, les musiciens présentent des connexions structurelles et fonctionnelles accrues entre les deux hémisphères cérébraux.
Un passionnant colloque neuroscientifique sur le thème de la musique, proposé par le Collège de France en mai 2024, a notamment montré que l’apprentissage musical impacte une grande diversité de circuits neuronaux, ce qui permet de dire que tous les niveaux du cortex sont touchés par cette pratique.
En guise de conclusion, il a été évoqué que l’apprentissage de la musique participe à l’épanouissement des enfants en apportant notamment du plaisir, du bien-être et une meilleure coopération entre pairs.
De plus, tout nouvel apprentissage a des effets très positifs sur le cerveau et son développement.

Les apprentissages artistiques font-ils appel à des mécanismes différents d'un point de vue neurologique ?

Comme indiqué, de nombreux circuits neuronaux participent à l’apprentissage artistique.
Prenons l’exemple de la danse. De nombreuses études montrent notamment que les danseurs ont des capacités de proprioception supérieures à la moyenne. Ce terme désigne notre capacité à nous représenter la position de notre corps dans l’espace (savoir localiser notre pied gauche, par exemple, sans avoir besoin de le regarder).
L’apprentissage de la danse a donc un impact important sur les capacités proprioceptives des danseurs, le cerveau calculant de plus en plus finement la position des membres dans l’espace au fur et à mesure des exécutions. Or, si cette compétence est bien évidemment indispensable aux mouvements précis des danseurs, elle est joue également un rôle dans la lecture et même, plus surprenant, dans les capacités d’attention.
On retrouve donc, à nouveau, l’intérêt majeur de l’apprentissage artistique pour le neuro-développement de l’enfant, mais aussi de l’adulte puisque notre cerveau reste plastique tout au long de la vie.

Quel peut être l'apport des neurosciences dans l'enseignement artistique, notamment auprès des jeunes enfants ?

Les neurosciences peuvent éclairer certaines pratiques pour être plus efficace, plus performant, mais aussi pour vivre l’expérience éducative différemment.
La compréhension de l’importance du cerveau social éclaire notamment le besoin de créer un cadre sécurisant et bienveillant pour les élèves, afin qu'ils puissent bien intégrer les apprentissages.

Grâce aux neurosciences, on se rend aussi compte de l’importance d’intégrer certains principes dans la transmission : la régularité, le fait de répéter les choses, la dimension ludique, les exercices pratiques, mais aussi l’importance des émotions positives dans l’apprentissage.
Par exemple, une étude parue dans Science Advances en décembre 2023 a montré l’importance de l’expérience gratifiante pour le cerveau. La dopamine, hormone du plaisir, permet l’ajustement du comportement suite à l’erreur et sa production est optimale lorsque l’on essaie de tirer des leçons de l’expérience.
En d’autres termes, plus l’élève vivra l’erreur comme une expérience stimulante et gratifiante (car cela lui aura permis d’apprendre et de modifier son action) et non comme une expérience punitive, plus il aura de plaisir à apprendre.
Ce sont là quelques exemples, mais les neurosciences sont vraiment un atout pour les enseignants et leurs pratiques, ce que démontre l’intérêt de ces professionnels pour cette thématique.

Quelle est la place de la créativité, de l’expressivité de l’élève dans le processus d'apprentissage ?

La créativité n’est pas seulement réservée aux artistes : expérimenter est du ressort de la créativité et l'humain est naturellement créatif. Cuisiner, jardiner, par exemple, sont des expressions créatives.
L’enfant qui découvre le monde développe sa créativité. D’ailleurs, les professionnels de la petite enfance ne parlent plus de bêtises. Quand un jeune enfant fait tomber son assiette, l’adulte peut dire que c'est une bêtise, en fait, non, il découvre le monde : ce qui se casse, fait mal ou procure de la joie, etc.
Mais le côté créatif peut être bridé au fil du temps par des normes sociales, ainsi que par le phénomène dit d’auto-hypnose, à savoir l’idée que l’on se fait de soi-même : « je ne suis pas doué(e) pour telle ou telle chose », etc. alors qu’en expérimentant, peut-être différemment, on peut prendre du plaisir et ainsi développer sa créativité.

Le rôle des neurones miroirs est également important (je précise toutefois que cette notion de "neurones miroirs", terme bien connu permettant de vulgariser notre fonctionnement, fait désormais débat. Il est en effet désormais plus juste de parler de "régions aux propriétés en miroir"). Plus l'élève va s’imaginer en train de réaliser la note parfaite, le mouvement parfait, plus il progressera, ce qui est d’ailleurs utilisé depuis toujours par les champions sportifs par exemple.
Ce type de projection, faisant appel à la créativité, peut par exemple être intégré en début de cours, à travers des méditations, des visualisations, ou simplement par l’observation des mouvements à reproduire.

Également, j’ai eu une question qui m’a beaucoup intéressée lors de notre conférence. Un enseignant souhaitait avoir mon avis sur l’ASMR (Autonomous Sensory Meridian Response), pratique artistique et créative dont les vidéos foisonnent sur internet. Même si, de prime abord, ces vidéos peuvent prêter à sourire, les neurosciences s’intéressent désormais à cet art, montrant qu’il induit une forte stimulation sensorielle chez les sujets qui y sont sensibles. 
Cela pourrait permettre, pourquoi pas, à l’enfant d’exprimer son plein potentiel artistique, en ayant démarré un cours en stimulant les émotions par une pratique créative d’ASMR. 
C’était en tout cas une idée très intéressante de cet enseignant qui, grâce aux neurosciences, trouve une validation scientifique.

Qu’en est-il du rôle de la pratique artistique comme outil thérapeutique ?

Nous sommes nombreux à avoir été touchés par la vidéo de cette ancienne danseuse étoile, atteinte de la maladie d’Alzheimer, retrouvant les mouvements d’une chorégraphie grâce à la musique diffusée pour elle par les soignants.
Cet exemple illustre le pouvoir de l’art comme outil thérapeutique.
Ainsi, la danse a un impact bénéfique sur le vieillissement, notamment en augmentant le volume de l’hippocampe, région du cerveau considérée comme le chef d’orchestre de notre mémoire.

Dans son livre L’art qui guérit, publié aux éditions Hazan, le neurologue Pierre Lemarquis indique que l’art, sous toutes ses formes, augmente la production de dopamine, de sérotonine et d’endorphine ayant donc des effets apaisants et plaisants.
D’autres études ont également mis en lumière une diminution du taux de cortisol dans le sang après l’écoute de morceaux de musique, ce qui montre l’effet "anti-stress" de la musique, y compris chez des sujets atteints de pathologies.
Toujours selon Pierre Lamarquis, l’immense pouvoir de l’art comme outil thérapeutique reste à ce jour assez peu exploité. Cependant, l’intérêt du grand public pour les neurosciences depuis quelques années permet à tous de mieux comprendre les bienfaits et l’importance de l’art dans différents domaines de nos vies. 
Nous pouvons donc espérer que nous serons de plus en plus nombreux et nombreuses à intégrer la pratique artistique dans nos quotidiens.

 

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